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Gani JAKUPI, un auteur de BD à succes originaire du Kosovo
jeudi 9 juin 2011 par Evelyne Noygues
Créateur aux multiples facettes, scénariste de BD, illustrateur de ses propres albums et scénariste pour d’autres auteurs, compositeur, photographe, écrivain… Gani Jakupi était invité à la 2ème édition du Salon du livre des Balkans, organisée les 25 et 26 juin 2011, par l’association « Albania » et « Le courrier des Balkans » au Théâtre de la Grande Comédie à Paris.
Gani Jakupi a accordé a une longue interview à Albania. Elle sera publié en plusieurs épisodes d’ici la tenue du Salon du Livre des Balkans, le dernier week-end de 2011.
Photo : ©Hazir Reka-responsable régional REUTERS.
Né en 1956 dans la province du Kosovo de la Yougoslavie de Tito, Gani Jakupi est à présent établi à Barcelone, en Espagne, après avoir vécu en France au début des années 1980.
Dans le cadre du Salon du livre des Balkans, une « carte blanche » lui sera consacrée pour présenter ses œuvres, le samedi 25 juin à 11h. Il participera également à la table ronde sur « La bande dessinée dans les Balkans », animée par Johanna Marcadé, dimanche 26 juin à 14h, avec Alexandru Ciubotariu (Roumanie), Igor Hofbauer (Croatie), Ilan Manouach (Grèce), Dodo Nita (Roumanie) et Aleksandar Zograf (Serbie).
En attendant ces deux rendez-vous, ses albums de bande dessinée représentent un très bon moyen de connaître un peu mieux Gani Jakupi, son œuvre, sa personnalité artistique et le monde qui l’entoure, … notre monde.
INTERVIEW - 1ère PARTIE : La bande dessinée
1. Pourquoi avoir choisi de vous exprimer par la BD ?
Gani Jakupi : C’est un moyen d’expression à la fois puissant, dans la mesure où il joint le visuel et le texte, et économique : on n’a besoin que d’un crayon, du papier et du talent. La BD offre une indépendance exceptionnelle. On prend et on assume toutes les décisions artistiques, tout seul ou dans un ensemble réduit de collaborateurs (au maximum, on est trois : scénariste, dessinateur et coloriste).
2. Comment se passe le processus de création pour vous ?
Gani Jakupi : Chaque fois que je commence un projet, je médite sur la question que me posait habituellement Guy Vidal, à l’époque où il était éditeur chez Dargaud. Plus que l’histoire elle-même, ce qui l’intéressait c’était POURQUOI voulais-je l’écrire. Donc, une fois que je sais « quoi » et « pourquoi », survient une très longue période de documentation, qui peut durer de quelques mois à quelques années. J’étudie l’événement que je traite, ses implications dans son époque et sa transcendance dans la nôtre. Je tâche de connaître le pays où se déroule l’action, son histoire, sa langue, sa culture, sa littérature, son cinéma, sa musique.
Jusqu’ici, j’ai toujours traité des pays dont je connais la langue, mais toute connaissance peut s’améliorer. L’écriture n’est que la phase « terminale ». Elle est très accidentée. Bien que je ne commence pas une histoire sans savoir comment elle va terminer, je lui laisse le temps de mûrir pendant que se réalise le dessin. Les dialogues doivent venir par inspiration ; j’essaye d’éviter des rebondissements qui seraient le fruit de la connaissance du métier.
Mon travail graphique est particulier. Je réalise un story board de la planche assez précis, en déterminant la taille et le rapport des vignettes, aussi bien la composition interne des dessins. Par la suite, je dessine chaque vignette sur une feuille à part. D’abord parce que je me sens à l’aise avec des gestes larges, et ensuite parce que j’encre avec des roseaux. Ce sont des plantes sauvages que je cueille lors de mes promenades autour de Barcelone, et que je taille au fur et à mesure.
Je scanne les dessins, je les monte sous Photoshop et j’envoie les planches terminées à l’éditeur pour en tirer des bleus… qui, en réalité sont des noirs à 100% ! En plus, je demande que les impressions soient faites au format A3, car je peins dessus avec de l’acrylique. Les planches mises en couleur sont scannées (par un studio professionnel, bien entendu) et montées sous le calque du trait noir.
3. Peut-on dire qu’il y a plusieurs thèmes récurrents dans votre œuvre ? Lesquels ?
Gani Jakupi : Je crois que c’était Cocteau qui disait qu’un poète qui parlerait de poésie serait comme une plante parlant d’horticulture. Je n’analyse pas mon œuvre, j’en laisse le soin aux critiques.
4. Dans vos scénarios, voire dans vos BD, les thèmes sont-ils plutôt noirs ? Est-ce que vous cherchez à démontrer le mal ? La collusion entre la mort et la violence, n’est-ce pas pour mieux dénoncer un fond critique sur tout un système ?
Gani Jakupi : Je ne dirais pas que les thèmes de mes œuvres soient noirs par définition. Il s’agit tout simplement d’une loi essentielle de la communication. Il est possible que je parle de mon bonheur conjugal à des gens qui me sont proches, et que ça leur fasse plaisir. Mais si j’écris un roman là-dessus, même mes amis vont le lire. Par contre, si j’écris sur mes conflits sentimentaux, l’intérêt sera tout autre. Il ne s’agit pas d’une perversion de l’esprit humain.
Paradoxalement, la sensation du bonheur est extrêmement individuelle et non transférable. Le doute et les dilemmes, par contre, appellent le partage. On ressent immédiatement le besoin de les comparer, de s’identifier avec le sujet afin de pouvoir les comprendre, et voir nos propres préoccupations à travers le miroir qu’on nous tend.
Page N&B tirée de l’album "Jour de Grâce", chez Dupuis en 2009, et sélectionné hors compétition au festival d’Angoulême 2010. Le dessin est de Marc N’Guessan et le scénario de Gani Jakupi.
D’autre part, le conflit est le moteur essentiel des relations humaines. Vous ne pouvez faire exister vos personnages qu’en les faisant entrer en collusion avec le milieu dans lequel ils évoluent. Il ne faut cependant pas confondre conflit et violence physique. Je n’abuse jamais de la mort comme recours dramatique. Je vous signale que la seule mort qui a lieu dans mon polar "Jour de Grâce" est en fait une mort naturelle, pas un assassinat, en dépit de ce qui paraît initialement.
D’ailleurs, la véritable « noirceur » de cette histoire est constituée par l’isolement du protagoniste. Le dessinateur Marc N’Guessan a réussi à mettre en image une ville en liesse, au milieu de laquelle notre protagoniste fait tâche d’huile.
Je ne m’aventurerai pas dans une critique du système sans proposer une solution de rechange. Et comme je ne suis pas croyant, ni sur le plan religieux, ni sur celui déologique, les solution-miracle n’apparaissent pas automatiquement. Alors je préfère parler de la nature humaine. Au lieu de nous en remettre à Marx ou à Jésus, il vaudrait mieux qu’on revoie nos relations avec nous-mêmes et avec notre prochain.
5. En tant que dessinateur vous avez la possibilité de dominer complètement vos personnages. En tant que scénariste vous devez composer avec les dessinateurs. Comment cela se passe-t-il ?
Gani Jakupi : À merveille ! Je ne travaille qu’avec qui je choisis, et cela implique que j’aime ce que font mes collaborateurs. En plus des qualités artistiques certaines, il s’agit toujours de personnes avec lesquelles je me sens très bien sur le plan humain. Je tiens à des rapports d’amitié avec mes collaborateurs.
6. Est-ce que lorsque vous travaillez seul, votre style est plus spontané que lorsque vous travaillez des scénarios pour d’autres dessinateurs ? Pourquoi ?
Gani Jakupi : Ça dépend de ce que vous entendez par spontanéité. Je ne vais pas écrire pour les autres comme j’écris pour moi-même, c’est évident. Mais c’est tout. Bien au contraire, les autres me permettent de me concentrer plus sur l’écriture, tout en m’apportant la surprise d’une approche différente de celle que j’aurais probablement adoptée. Je trouve très enrichissante l’expérience de la collaboration.
Il suffit de penser au nombre de personnes qui s’occupent d’un projet cinématographique, même quand il s’agit de cinéma d’auteur, pour se rendre compte qu’on n’est pas trop à deux sur une histoire. D’ailleurs, si je n’avais pas autant d’histoires qui se bousculent au portillon, ça m’enchanterait de travailler comme dessinateur avec un scénariste.
Page en couleur tirée de l’album "Les Amants de Sylvia" paru chez Futuropolis, 2010
7. Pouvez-vous expliquer la technique employée dans vos différents albums ? A-t-elle une influence particulière sur votre processus de création ?
Gani Jakupi : La technique est plutôt au service des aspirations d’une histoire donnée. Les couleurs pour "Le roi invisible" étaient réalisées radicalement en acrylique, avec de la patte épaisse, sans une seule goûte d’eau. Ce qui n’est pas du tout le cas dans "Les amants de Sylvia". Dans le premier cas, il s’agissait d’une histoire de pure passion, de musique, des arts. Tandis que dans l’autre, la couleur ne devait pas être trop intrusive, le décor était pus marqué, etc. Dans mon prochain livre, l’approche sera encore différente…
8. Faites-vous beaucoup de photos pour vous ?
Gani Jakupi : Hélas, pas autant que je voudrais ! Comme je toujours été un artiste extrêmement dispersé, je me suis vu obligé de faire un choix. À l’exception de la BD et la musique, tout le reste est passé à la trappe.
9. Appréciez-vous autant la photographie que la BD en tant qu’expression artistique ?
Gani Jakupi : Bien entendu ! Je ne peux pas en dire plus, puisque ça serait comme comparer deux belles femmes. Laquelle est plus belle ?! À la rigueur, je dirai que la photo est plus proche de l’illustration, du fait que les deux partagent cette concentration du message en une seule image. Une bonne photo, comme une bonne illustration, renferme une puissance extraordinaire.
10. Etes-vous pour ou contre la vente de planches originales ?
Gani Jakupi : Dans ce domaine, chacun fait comme il veut. Personnellement, je ne suis pas pressé de vendre des originaux, mais j’imagine que ça arrivera un jour.
11. Que pensez-vous de la BD actuellement ? Quelles sont vos influences ?
Gani Jakupi : Même si elle est touchée par la crise, comme tout autre domaine artistique, elle se porte à merveille. Il y a tout le temps des auteurs inventifs qui maintiennent l’intérêt du public, qui amènent de nouveaux lecteurs, de gens qui n’ont jamais été intéressés par les « petits mickeys ».
Mes influences ? Je ne saurais pas vous le dire. J’ai zappé plus d’une dizaine d’années de BD justement pour évincer toutes les influences. J’ai plongé dans la peinture, le cinéma, la littérature, la musique. J’ai peur de paraître trop pédant en citant des influences de ces domaines-là, mais je vous assure qu’elles sont réelles. Maintenant que je ne crains pas de ressembler à quiconque, je suis revenu à la lecture de la BD, à pas forcés. Il y a beaucoup d’auteurs que j’admire, mais je ne me soucie pas de qui m’inspire. N’importe quelle inspiration devra passer par un filtre qui la rende méconnaissable.
Interview réalisée par Evelyne Noygues©2011 à l’occasion du Salon du livre des Balkans 2011.
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Evelyne Noygues
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