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Interview de Gani JAKUPI sur ses BD "Le roi invisible" et "Matador"
lundi 13 juin 2011 par Evelyne Noygues
Scénariste de BD, illustrateur de ses albums et scénariste pour d’autres auteurs, compositeur, photographe, écrivain… Gani Jakupi était l’invité de la seconde édition du Salon du livre des Balkans, organisé les 25 et 26 juin 2011, par « Le courrier des Balkans » et l’association « Albania » au Théâtre de la Grande Comédie à Paris...
Gani Jakupi a accordé a une interview spéciale à Albania. Après le 1er épisode sur la BD, le second est consacré à l’album "Le roi invisible" (Brique d’Or du meilleur album au festival de Toulouse 2010) et à la trilogie "Matador".Photo©Florent Rizvanolli.
Créateur aux multiples facettes, scénariste de BD, illustrateur de ses propres albums et scénariste pour d’autres auteurs, compositeur, photographe, écrivain… Gani Jakupi est l’invité de la 2ème édition du Salon du livre des Balkans, organisé les 25 et 26 juin prochains, par l’association « Albania » et « Le courrier des Balkans » au Théâtre de la Grande Comédie à Paris.
INTERVIEW - 2ème partie : "Le roi invisible" et "Matador"
12. Dans « Le roi invisible », publié en 2009 par Futuropolis, vous passez en revue toute la vie d’un guitariste totalement oublié du grand public : Oscar Aleman. Pourquoi ? L’histoire que vous racontez est-elle vraie de bout en bout ou l’avez-vous romancé ? Si j’ai bien lu la notice sur votre site, ce n’était pas votre « premier coup d’essai » ?
Gani JAKUPI : Il y a quelques années, j’ai fondé en Espagne une collection de livres- CD consacrée aux grands figures du monde musical. Je réalisais ainsi un vieux rêve, de joindre la musique et la BD. N’empêche que l’histoire d’Oscar Alemán m’a attiré pour bien d’autres raisons. C’est une vie passionnée et passionnante, au point que j’ai dû faire des recherches avant de me convaincre qu’elle était réelle.
Tout ce que je raconte dans "Le roi invisible" est strictement vrai, sauf les dialogues, bien entendu. Aucune anecdote n’est inventée ! Le roi invisible a été encensé para la critique de jazz, mais a été également apprécié par le monde de la BD ; il a obtenu le prix du festival de Toulouse, la Brique d’or pour le meilleur album de l’année.
13. Ressentez-vous une attirance particulière pour des personnages « oubliés de l’Histoire » ? Que cherchez-vous à tirer de l’oubli ? Vous sentez-vous l’âme d’un « redresseur de tors » des temps modernes ? Un « sauveur de desperados » ? Avez-vous peur, vous-même, de l’oubli ? d’oublier ? d’être oublié ?
Gani JAKUPI : « Vivre après ma mort », franchement, ça m’est égale. C’est une pensée agréable que d’imaginer que mon ouvre perdure, mais ce n’est pas mon obsession. Ensuite, je ne me considère pas un « bienfaiteur ». Ce que je cherche à tirer de l’oubli est plus important pour nous que pour les personnes disparues. C’est nous-mêmes qui sommes pénalisés avec l’oubli des autres. La peur d’oublier – oui ! Nous nous appauvrissons avec chaque oubli.
Évidement, là, je parlais des artistes. Quant aux personnages sortis des méandres politiques de l’Histoire, plutôt que prétendre à faire le redresseur des torts, ce que je cherche c’est de remettre les pendules à l’heure par rapport aux événements, aux pensées, aux idéologies. Face à ceux qui voient le présent comme une extension du passé, il n’y a qu’une bonne connaissance de l’Histoire qui nous permet de nous débarrasser de ce segment-là, et de nous orienter face au futur.
14. En lisant « Le roi invisible », on sent chez vous une passion pour la musique, le jazz, les rythmes latinos, l’Amérique latine… Tout cela est bien loin de votre Kosovo natal. D’où vous vient cet intérêt particulier ?
Jani JAKUPI : Les voies de la musique sont parfois plus impénétrables que celles de la foi. J’ai passé mon enfance à écouter (et à jouer) du blues, et je suis incapable d’en composer un. Tandis qu’une bossa nova, un tango ou une salsa… ça coule de source !
Je me rappelle toujours de la première fois où j’ai entendu un authentique rythme de bossa (c’était sur un disque de Bernard Lavilliers – on a les références qu’on peut !). J’ai pris ma guitare, j’ai essayé le rythme, et c’est sorti du premier coup, comme si j’en avais écouté toute ma vie. Je ne sais pas si je serais capable de l’expliquer (en tout cas, ça serait laborieux), mais je trouve une certaine affinité entre les Balkans et l’Amérique Latine.
Le jazz, par contre, c’est bien plus facile à expliquer. Ma définition personnelle du jazz n’est pas celle d’un « genre musical » mais d’un « espace de rencontre entre différentes cultures musicales ». Pour moi, le vocable « jazz » rend in-nécessaire l’expression « fusion (musicale ) ». Alors, ça entre la tête la première dans la conception universaliste de ma « nature nomade ».
15. L’album « Le roi invisible » retrace-t-il un parcours initiatique sur l’histoire d’un homme, de genres musicaux, d’un continent loin des clichés d’Eldorado ? ou plus largement sur votre vie à vous ? En changeant totalement d’aire culturelle, n’avez-vous pas changé vous-même complètement de continent ? d’habitudes culturelles ?de langue ? de vie ?
Jani JAKUPI : Je suis tenté de répondre « oui » à chacune de vos questions. Bien entendu, je ne me suis pas dit : « Ah, voilà, cette histoire incarne mes tribulations, elle sublime l’aventure de ma vie ! ». Il faut rendre justice à l’argument de base pour Le roi invisible. La preuve : j’ai vendu le projet sur un « synopsis » de 3-4 phrases, même pas un paragraphe complet. Je voulais juste présenter une idée à Sébastien Gnaedig (éditeur chez Futuropolis), et il s’est exclamé « J’aime bien ! Vous commencez quand ? ». C’est à peine simplifié, je vous l’assure.
J’aimerais bien pouvoir vendre tous mes projets de cette manière-là. Mais c’est vrai que je m’identifie bien avec le personnage qui cherche à se reconstruire une identité à travers de son œuvre. J’ai connu la pauvreté (pas à extrême comme Oscar Alemán, quand même), et j’attends toujours la richesse, mais « les hauts et les bas », je m’y connais ! La « ballade », entre cultures et les langues aussi...
16. Etes-vous une espèce de « Django de Balkans » de la BD ? Un « Manouche venu du Kosovo » ?
Jani JAKUPI : Arrêtez, vous allez me faire rougir ! Mais si on tient à me voir ainsi, je ne m’y opposerai pas…
17. En tant qu’auteur de BD, que pensez-vous pouvoir apporter au concepteur d’une méthode d’apprentissage de la batterie, comme dans "Percumania" où vous avez réalisez les illustrations ? L’esprit d’Oscar Aleman n’est-il pas présent à travers de vos illustrations ? Est-ce une autre manière d’exprimer votre admiration pour ce personnage après d’autres comme Tete Montoliu ?
Gani JAKUPI : Rendons à César ce qui est à César : l’idée de la collaboration est venue de la part des percussionnistes, Àngel Pereira et Nan Mercader, dont j’aime bien le travail. Nan Mercader a déjà joué sur deux de mes thèmes jazz, et c’est une expérience qui est appelée à se répéter. Je me suis soumis à une espèce de MasterClass accélérée (ça ne me déplaisait guère ! j’ai appris des secret que j’ignorais), et j’ai essayé de synthétiser cela sous forme de vignettes de BD. Ensuite, les percussionistes ont révisé et corrigé le résultat. C’était une expérience avec laquelle les musiciens et l’éditeur ont été pleinement satisfaits. Il reste à voir jusqu’à quel point mon apport est efficace auprès des étudiants en percussions. Bien sûr, si j’ai accepté de m’y prêter, c’est à cause de mon amour pour la musique.
18. Y a-t-il une parenté entre l’univers de vos bandes dessinées et celui de votre culture et vos activités musicales ? Laquelle ?
Gani JAKUPI : Il y en a une : la passion !
19. Avec la trilogie « Matador », publiée entre 1992 et 1994 par Glenat, je ne peux m’empêcher de penser à une autre BD en 3 vol. chez le même éditeur : « La loi du Kanun », sortie en 2005, sur un scénario de Jack Manini et des illustrations de Michel Chevereau. C’est l’histoire d’un jeune orphelin, Leka, adopté par un immigré russe, sanguinaire et rusé, dans l’Albanie des années 1960, crucifiée jusqu’au plus profond de ses campagnes par le communisme « made Enver Hoxha ». Une belle histoire d’amour arrive cependant à naître sur ce terreau vénéneux. Mais cela n’empêchera pas le sang de couler par la force de la tradition…
Pour « Matador », vous avez conçu le scénario et Hugues Labiano, c’est chargé des illustrations. N’est-il pas paradoxale qu’un « duo » français (avec quelques origines méditerranéennes) se passionne pour le Kanun albanais, la parole donnée, la loi du sang… et que vous et votre compère (dont le nom ne peut taire des origines, elles aussi, méditerranéennes…) s’empare du thème ibérique de la corrida, un autre code qui règle par la tradition la mort, et donc la vie de ces hommes qui « cherchent à naître en poursuivant leur mort »... ? Quelles étaient vos motivations ? A quelles impulsions répondez-vous ? Vous sentez-vous poursuivi par la mort ? L’oubli n’est-il pas, à l’image d’Oscar Aleman, une façon encore plus cruelle d’être un mort vivant ?
Gani JAKUPI : Vous me faites découvrir quelque chose, je ne connaissais pas cette série. Oui, c’est paradoxal et, à la fois, ça peut facilement s’inscrire dans la classique recherche de l’exotique. On est bien plus courageux dans l’utilisation des clichés lorsqu’il s’agit des autres cultures. Je me réserve mon opinion sur « La loi du Kanun » avant de connaître l’oeuvre, mais tout ce que j’ai lu sur le thème comporté des clichés que je ne signerais pas.
J’ai décliné des offres de travailler sur des histoires qui se passaient en Albanie, car je considérais que je ne la connaissais pas assez, et la documentation accessible était assez superficielle. Je reconnais que certains éléments de Matador sont aussi des clichés : les Gitans, ça fait Carmen revu par un auteur plus respectueux envers leur réalité que Bizet, mais ce n’est pas une étude anthropologique non plus.
Cependant, j’avoue que j’ai été très content par la remarque d’une élève d’origine espagnole, à l’époque où j’enseignais la BD à Toulouse, et qui a dit qu’il y retrouvait parfaitement l’atmosphère du village de son enfance. Par ailleurs, Hugues Labiano est basque français, et il a connu la corrida presque depuis le berceau.
La tauromachie à part (elle est assez fascinante, cette dans macabre !), ce qui m’intéressait c’était l’incapacité de faire face à un succès qui arrive très tôt et trop vite, de reconnaître l’amour lorsqu’on le tient, et d’apprécier la valeur et l’importance de l’amitié lorsqu’on est entouré d’adulateurs. Ce sont les préoccupations de cette histoire, le reste n’est que du décor.
Interview réalisée par Evelyne Noygues©2011 à l’occasion du Salon du livre des Balkans 2011.
Retrouvez également Gani Jakupi sur Le Courrier des Balkans : http://balkans.courriers.info/article17752.html
La suite sur "Jour de grâce" et "Les Amants de Sylvia", et enfin "au-delà de la BD...", les 2 prochaines semaines avant le Salon du livre des Balkans.
Pour en savoir plus sur la participation de Gani JAKUPI au Salon du livre des Balkans, lire : http://livredesbalkans.eklablog.com/gani-jakupi-c721729
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Evelyne Noygues
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