L’image de l’Albanie à partir des récits de voyage des XIXe et XXe siècles
vendredi 17 juillet 2015 par en
Malgré sa situation au cœur de la Méditerranée, l’Albanie a toujours eu, et garde aujourd’hui encore, un parfum d’exotisme pour ceux qui la visitent. En résulte une image en miroir déformant. Olimpia Gargano est partie de ce constat pour écrire une thèse sur l’image de l’Albanie dans la littérature européenne.
Cet article est un aperçu d’une thèse de doctorat en cotutelle internationale consacrée à l’image de l’Albanie dans la littérature de voyage européenne des XIX et XXe siècles. La thèse a été soutenue le 27 février à l’Université Nice Sophia Antipolis.
L’Albanie, une usine à fantasmes pour écrivains étrangers
Cet article est un aperçu d’une thèse de doctorat en cotutelle internationale consacrée à l’image de l’Albanie dans la littérature de voyage européenne des XIX et XXe siècles. La thèse a été soutenue le 27 février à l’Université Nice Sophia Antipolis.
L’Albanie vient de lever le rideau sur ses riches et anciennes traditions, en apparaissant sur les grands écrans internationaux. Le succès de Vergine giurata (Vierge jurée) au Festival du film de Berlin a littéralement braqué les projecteurs sur une pratique enracinée dans les montagnes de la Mirditie, la région qui, à en juger par les témoignages des voyageurs étrangers des siècles passés, apparaissait comme le berceau des coutumes et des mœurs albanais. Le protagoniste du film est une burrnesha (« femme masculinisée »), à savoir une femme prêtant le serment de rester célibataire, soit pour se soustraire à un mariage forcé avec un homme choisi par sa famille, soit pour prendre sur elle des tâches typiquement masculines, telles que la vengeance de sang prescrite par le Kanun, le code de droit coutumier albanais.
Pour sa singularité, la figure de la vierge jurée apparut très tôt dans les récits des écrivains-voyageurs. Aux années 1890, le consul français Alexandre Degrand, auteur des Souvenirs de la Haute-Albanie, l’une des plus belles réussites narratives parmi les études ethnographiques consacrées à ce pays, en donna des nouvelles lors de sa mission diplomatique à Shkodra, dans le nord du pays.
« J’ai rencontré une femme qui, restée seule, avait abandonné les habits de son sexe ; elle sort vêtue comme un montagnard, toujours armée et prend part aux délibérations des hommes. »
Il y en a également des précieux témoignages visuels, qui devraient désormais faire partie du savoir commun concernant le patrimoine ethnographique européen. L’Anglaise Edith Durham a photographié pendant ses recherches en 1908 une « Albanian virgin » dans une région qu’elle qualifia de « Land of the living Past (« Terre du passé vivant »). Un autre exemple est celui d’une vergjinesha (vierge) montagnarde, vêtue en habillement masculin et ayant des armes. Sa photo a été publiée en 1912 dans une étude de monseigneur Ernesto Cozzi, un chapelain militaire italien dans la Mirditie qui se passionna à la recherche ethnographique dans la Haute Albanie.
À la découverte de l’Albanie, terre sauvage
Pourtant, la figure de la vierge jurée n’est que l’un parmi bien d’autres sujets qui captivent l’attention des voyageurs européens aux prises avec leur propre « découverte » de l’Albanie. Parce que, il faut bien le dire, à l’égard de l’Albanie il y eut un curieux paradoxe qui a en affecta longtemps la représentation, tant en Europe que dans le monde entier. En fait, tout en étant au beau milieu de la mer Méditerranée, ce petit coin des Balkans demeura longtemps l’un des endroits européens les plus méconnus. Aux yeux des étrangers, ce pays qui depuis la fin du XVe siècle était resté pendant presque cinq cents ans sous la domination ottomane était un mystérieux avant-poste de l’Islam au cœur de l’Europe.
Son entrée dans le panthéon de la littérature européenne se fit à la suite de la publication, en 1812, du Pèlerinage de Childe Harold, qui avait été conçu alors que Lord Byron et son compagnon de voyage John Cam Hobhouse passaient quelques semaines entre Tepelena, près de Gjirokastër, et Ioannina, rattachée à la Grèce en 1913, en tant qu’hôtes du pacha Ali. Les vers byroniens ouvrirent la voie à d’innombrables visiteurs, qui tout au long du XIXe siècle parcoururent ces contrées en ayant le Childe Harold comme guide de voyage. Cependant, malgré le fait que le pays fut depuis lors décrit par des centaines de voyageurs, écrivains, journalistes, géographes, linguistes, ethnographes, naturalistes et historiens, la quasi-totalité de leurs récits fourmillaient d’expressions d’émerveillement et de sentiments de découverte face à des lieux qu’on ne manquait jamais de définir comme « mystérieux », « inconnus », tout à fait « inexplorés ».
Décryptage d’une passion mythifiée
Cette analyse a visé à dégager les typologies de la représentation par lesquelles des voyageurs, des écrivains et des artistes européens virent le pays, ses coutumes et ses gens, en en donnant celles qui allaient devenir les « images » par lesquelles l’Albanie était conçue par les étrangers. Les sources abordées vont du début du XIXe siècle aux années 1940.
À partir d’un corpus primaire comprenant les Souvenirs de la Haute-Albanie d’Alexandre Degrand, L’Albania de l’écrivain-journaliste italien Ugo Ojetti, et High Albania de l’Anglaise Edith Durham, dont le complexe travail ethno-anthropologique a fait l’objet d’une analyse spécifique, le champ d’observation s’est élargi jusqu’à inclure un large éventail de textes allant des récits diplomatiques aux journaux de voyage, des œuvres fictionnelles aux articles de presse.
Une analyse à part entière a été consacrée à la riche iconographie qui naquit autour les œuvres phares dans le domaine de la découverte européenne de l’Albanie, qui inspirèrent des dessins et des peintures spécialement conçus pour les illustrer : reproduits à chaque édition et traductions dans d’autres langues, ils devinrent un véhicule de diffusion des traits saillants de la représentation, tels que les costumes et l’habillement en général, qui par leurs couleurs vives et leurs formes inhabituelles garantissaient le succès auprès des lecteurs.
Du verbe à l’image : des représentations qui fluctuent
Tel est le cas, parmi nombre d’autres, du Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie (Paris, 1805) du médecin, antiquaire et diplomate français François C. H. L. Pouqueville. Quelques années après la publication du texte français, il en apparut une traduction italienne, enjolivée par des illustrations.
Grâce au travail de nombre de graveurs, peintres et illustrateurs, les récits albanais se peuplaient des figures qui migraient dans les traductions d’une langue à l’autre, refaites par des artistes différents. Ce fut également à travers de telles représentations aussi vivantes que l’Albanie entrait dans l’imaginaire des lecteurs de toute l’Europe.
Un pays imaginé
Une attention particulière a été portée aux ouvrages qui décrivirent l’Albanie uniquement sur la base de sources documentaires, ainsi qu’à ceux qui la « réinventèrent » en forme de lieu imaginaire. Un cas tout à fait particulier est celui des romans « balkaniques » de l’Allemand Karl May (1842-1912). Cet auteur très prolifique, jusqu’ici jamais traduit en langue française, atteint son sommet de popularité en créant son personnage le plus célèbre, l’Amérindien Winnetou.
En représentant les gorges sauvages de la Mirditie, peuplées d’hommes vaillants et audacieux, l’auteur révélait de minutieuses connaissances topographiques des toiles de fond de ses récits « albanais ». Pourtant, Karl May n’avait jamais franchi les frontières balkaniques, pas plus qu’il n’avait jamais visité l’Ouest américain où se déroulent les aventures de Winnetou. Cependant, sa Land der Skipetaren (« Pays des Skipetares »), comme il appela son pays fictionnel inspiré de la Haute Albanie, forgea l’image de l’Albanie (et bien sûr, des Albanais) pour plusieurs générations d’Allemands.
Au début du XXe siècle, l’Anglais Wadham Peacock se référait à l’Albanie comme à un pays étant « en Europe, et pourtant n’en faisant pas partie ».
Au cours de l’année 2015, en plus du succès cinématographique de la Vierge jurée, l’Albanie va faire l’objet d’une importante exposition archéologique française consacrée au patrimoine du Kosovo. Apparemment, la culture albanaise occupe de plus en plus d’espace sur la scène internationale. Il est désormais temps que, grâce aussi à une plus ample connaissance de la riche représentation littéraire et artistique dont elle fit l’objet les siècles passés, l’Albanie puisse rentrer à plein titre dans le réseau culturel et imagologique européen. Remerciement à Olimpia Gargano pour la reproduction de cet article.
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