L’œuvre de Prosper Mérimée et son influence sur un conte albanais de Mary Shelley
vendredi 8 septembre 2017 par en , E. Noygues
Depuis plusieurs années, Olimpia GARGANO présente régulièrement les résultats de ses recherches universitaires sur l’image de l’Albanie dans la littérature européenne.
Avec l’œuvre de Prosper Mérimée et son influence sur un conte albanais de Mary Shelley, la chercheuse explore le rôle de la littérature française en tant que pont entre les cultures albanaise et slave ; l’auteur français ayant largement contribué à la diffusion de sujets albanais dans cette littérature par le biais de son ouvrage : La Guzla.
Olimpia Gargano propose ici un résumé de sa communication au colloque international "Mapping Balkan routes : literary, cultural and linguistic landscapes " organisé, les 8 et 9 septembre 2017, par le Département de langues étrangères et celui de la langue et de la littérature albanaises de la Faculté des Sciences humaines de l’Université "Ismaïl Qemali" de Vlora, en collaboration avec la Faculté de Philologie de l’Université de Belgrade.
Sa présentation au colloque à Vlora vise à souligner le rôle que l’œuvre de Mérimée exerça sur la création de The Evil Eye, une nouvelle de Mary Wollstonecraft Shelley. Elle peut être considérée comme l’une des tous premiers exemples de contes gothiques inspirés de l’Albanie. Ce qui est moine connu, et qui fait justement l’objet de la contribution d’Olimpia Gargano, est le fait que La Guzla contribua à la diffusion de sujets albanais dans la littérature européenne, agissant ainsi un rôle de pont reliant les frontières culturelles slaves et albanaises.
Un peuple méconnu : « Où le sabre, la foi »
Ce petit peuple d’où sont sortis tant d’aventuriers héroïques, tant de bons soldats et de marins, n’est guère connu que par ses émigrés, qui s’accommodent avec une merveilleuse facilité aux mœurs, aux institutions et jusqu’à un certain point à la religion du pays où le sort les jette.
« Où le sabre, la foi » est un proverbe national parmi les Albanais. “Partout en Orient, ils attirent l’attention du voyageur. En Grèce leur langue étrange, en Turquie leur costume pittoresque, les distinguent tout d’abord au milieu des populations mêlées que l’on rencontre.”... Ces lignes sont tirées d’un essai de Prosper Mérimée publié en 1854 dans La Revue Contemporaine.
Dans le prestigieux périodique politico-culturel fondé en 1852 à Paris, Mérimée commente l’ouvrage Albanesische Studien du consul Georg von Hahn, publié la même année.
Prosper Mérimée : un fin connaisseur des coutumes du sud de la péninsule balkanique
Dans son compte rendu de ce qui était l’un des ouvrages phare de l’albanistique de langue allemande, Mérimée commente le rôle du peuple albanais dans la lutte pour l’indépendance de la Grèce :
“La nation albanaise a joué un rôle considérable dans la révolution à la suite de laquelle s’est constitué le royaume de Grèce, mais ce rôle a été muet. Les Grecs et les Turcs furent alors les seuls acteurs qui attirèrent l’attention du public européen. Cependant c’est l’ambition de l’Albanais Ali, pacha de Janina qui prépara l’insurrection grecque ; la fidélité des Albanais à la domination ottomane a probablement empêché cette insurrection de s’étendre, et si l’on en croit des gens bien informés de la situation actuelle, tant que les montagnes de l’Épire renfermeront une population belliqueuse et dévouée au Sultan, toute tentative semblable aura peu de chances de succès.”
“ Remarquons encore que la race albanaise a fourni des capitaines et des soldats aux deux partis dans la guerre de 1821-1830. Les Souliotes étaient des Albanais chrétiens, aussi bien que les intrépides matelots d’Hydra et de Spezzia. Aujourd’hui une partie notable de la population du royaume de Grèce n’appartient pas à la race Hellénique ; elle se compose d’Albanais hellénisés. Pour la seconde fois la Grèce a triomphé de ses vainqueurs .”
Ce n’était pas la première fois que Prosper Mérimée croisait les chemins de l’Albanie ! Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que l’un de ses romans les plus renommés, Colomba (1840), situé en Corse, raconte une histoire de vengeance de sang, l’une des caractéristiques culturelles que le pays des Aigles partage avec la minuscule île française.
Prosper Mérimée et la littérature gothique européenne d’inspiration anglaise
Dans le domaine des études balkaniques, Mérimée est connu comme l’auteur de La Guzla ou Choix de poésies illyriques, recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l’ Hertzegovine (1827).
Comme on le sait, La Guzla fut présentée comme le travail d’un anonyme auteur italien originaire de la côte nord de l’Adriatique, qui aurait publié des ballades populaires des Slaves du sud, chantées par un guzlar ; le joueur de l’instrument à corde frottée, traditionnel de l’aire sud-balkanique.
Au tout début du XIXe siècle, la vague de la littérature gothique fait rage en Europe. Traditionnellement considérée comme un genre venant de l’Angleterre, elle a comme roman fondateur Le Château d’Otrante d’Horace Walpole (1764) ; ses intrigues privilégient des histoires de spectres et de revenants, visées à susciter de la crainte, si ce n’est pas de l’horreur. L’un de ses chefs-d’œuvre était Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818) de l’Anglaise Mary Shelley.
Un an après la publication de La Guzla, Prosper Mérimée et Mary Shelley se rencontrent à Paris. L’écrivaine anglaise était veuve après que son mari, le poète Percy Bysshe Shelley, s’était noyé dans le golfe de La Spezia en l’été 1822. Entre les deux romanciers nait une attraction mutuelle qui aboutit a une courte histoire amoureuse et une intense correspondance épistolaire.
De retour à Londres, Mary Shelley publie un compte rendu de La Guzla, les prétendus chants illyriques de Mérimée dont elle traduit quelques poèmes. L’un d’eux narrait l’histoire de deux amoureux qui s’enfuyaient en croupe d’un destrier blanc pour célébrer leur mariage.
Malheureusement, la jeune fille resta foudroyée sous le regard mortel de son fiancé, un fascinant Arnaut ayant « deux prunelles dans chacun œil », signe indubitable du regard qui tue.
Ce récit en vers de Mérimée était précédé d’une introduction en prose intitulée « Le mauvais œil » (ce qui en anglais donne justement The Evil Eye, le titre du conte gothique de Shelley).
The Evil Eye de Mary Shelley apparut en 1829 dans The Keepsake, une revue littéraire anglaise annuelle. Son héros de s’appelle Dmitri, un klephte (montagnard de la région entre l’Olympe et le Pinde, vivant surtout de brigandage) au service du Pacha Ali de Tepelena.
En son absence, sa maison est ravagée par des brigands qui tuent sa femme et enlèvent sa petite fille. Accablé par son deuil, Dmitri développe un esprit de vengeance qui l’emmène à utiliser le « mauvais œil » pour anéantir ses interlocuteurs. Il n’a qu’un seul ami, le grec Katushius Ziani, à qui il est lié par un pacte de fraternité de sang.
Pour venger un tort soutenu par Ziani, Dmitri enlève Constans, l’enfant d’un ennemi de Ziani. Mais une issue heureuse est proche : Dmitri découvre que la mère de Constans n’est nulle autre que sa propre fille, enlevée quand elle était dans ses langes.
L’arrière-plan de ce récit montre des lignes récurrentes de la représentation littéraire de l’Albanie : l’albanais, Dmitri, était originaire du village de Korvo. Parmi les montagnes sauvages du district entre Yannina et Terpellène [sic ] coule le large cours d’eau d’Argyro-Castro, bastionné à l’ouest par des abrupts précipices couverts de bois, ombragé à l’est par des montagnes élevées. Le plus haut parmi ceux-ci est le mont Trebucci ; et dans un pli romantique de cette colline, distincte des minarets, couronnée par un dôme qui sort d’un groupe de cyprès pyramidaux, est le village pittoresque de Korvo. Les moutons et les chèvres forment le trésor apparent de ses habitants ; leurs armes et leurs yatagans, leurs habitudes guerrières et, avec eux, la noble profession du vol, sont des sources de richesses encore plus importantes. Parmi une race renommée pour le courage et l’entreprise sanglante, Dmitri se distinguait .
Dans ses premières lignes, le conte de Shelley affichait des lignes tirées du Childe Harold de Lord Byron, un poème qui comme peux d’autres a forgé l’image de l’Albanie. Là, le fier et sauvage Albanais aux jambes nues, la tête ceinte d’un châle, portant une riche carabine et des vêtements brodés d’or ; les Macédoniens aux écharpes de pourpre.
Par de tels détours, les sujets albanais circulaient dans la littérature européenne en en étoffant l’imaginaire au cours des siècles.
Olimpia Gargano©Copyright
E. Noygues
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