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LA POESIE EN ALBANIE (1990-2006)
mercredi 25 mai 2005
Présentation faite le 14 février 2005, "Entre popularité et élitisme" est tirée de la conférence donnée par Ardian Marashi, maître de conférence à l’INALCO, à l’invitation de l’amicale des albanisants et du Centre d’études balkaniques.
Pour donner un aperçu intelligible de la poésie en Albanie ces dernières années, il nous a semblé judicieux de la présenter en trois volets.
Le premier volet regroupe les poètes condamnés par l’ancien régime, qui ont été les initiateurs du renouveau littéraire et qui ont vite fait des adeptes. Ils ont écrit à contre-courant, tandis que leur publication constitue à elle seule une odyssée d’un genre particulier, n’ayant été rendue possible qu’après 1991.
Certains, dont Zef Zorba, Primo Shllaku et Drita Çomo, ont écrit depuis leur plus jeune âge mais en secret, sans jamais essayer de rendre public leur travail. D’autres, dont Kasem Trebeshina, Visar Zhiti et Frederik Rreshpja, ont été interdits de publication après leur emprisonnement. Tandis que Trifon Xhagjika fait partie de ces poètes qui ont été fusillés après avoir vécu les affres de la prison : c’est son poème La Patrie nue, qui l’a fait fusiller et qu’il a choisi de réciter devant ses juges, pour toute défense.
Les plus chanceux parmi ce groupe sont évidemment Arshi Pipa, Isuf Luzaj et Martin Camaj qui ont pu fuir le pays et se faire publier à l’étranger. En parlant de ces poètes, on devrait, par respect pour leurs souffrances, en mentionner le plus grand nombre et passer en revue des renseignements biographiques essentiels qui éclairent tout un pan de l’histoire récente du pays. Mais leur poésie se suffit à elle-même, elle nous parle sans que nous ayons besoin de deviner qui se cache derrière.
Tous ces poètes constituent ce qu’on pourrait appeler « la littérature souterraine », une littérature qui a été écrite en même temps que la littérature officielle et parallèlement à celle-ci, sans jamais rencontrer son public en temps réel. Pour être clair dans les termes, on notera qu’il ne s’agit pas là d’une poésie de la dissidence au sens strictement théorique et à la manière de la dissidence russe : en Albanie, aucune œuvre de dissidence n’était envisageable, à cause de la répression et du règne sans partage du Parti.
En revanche, on parlera de dissidence esthétique, qui serait une manière d’écrire en rupture totale avec ce qui était publié en Albanie. L’exemple le plus brillant en est Martin Camaj, poète du plus haut calibre européen mais aussi un romancier d’élite, à qui la nouvelle littérature albanaise doit beaucoup.
Le second volet regroupe les jeunes poètes, dont l’impact est effectif à partir de 1993 : aujourd’hui, ce groupe se révèle être le principal vecteur du renouveau poétique. Face aux poètes du contre-courant, ils constituent le nouveau courant de la poésie albanaise.
Leur apparition dans la poésie albanaise fut annoncé par Gjekë Marinaj, un jeune poète de vingt-cinq ans, originaire des provinces du Nord, qui en août 1990, quelques jours à peine avant que les Albanais ne prennent d’assaut les ambassades occidentales, réussit à publier dans le seul journal littéraire de l’époque, Drita, un poème intitulé Les Chevaux, qui à ses contemporains soumis à la dictature donnait pour exemple de comparaison les chevaux, ces créatures qui obéissent au doigt et à l’œil à leur maître.
Mais celui des contemporains qui a le plus influencé la jeune génération, c’est une poétesse, Mimoza Ahmeti, laquelle, par son excentricité et son esprit de rébellion se démarquait nettement des clichés soc-réalistes. Son pendant homme, Ervin Hatibi, qui se fit assez vite un nom de poète précoce, continue dans le même sillon. S’est affirmée par la suite, dans cet apanage, une autre poétesse qui n’a pas la langue dans sa poche, Rita Petro, qui paraît intéressante dans la mesure où elle s’est complètement débarrassée de l’autocensure, en glorifiant le désir féminin dans des vers insolites et touchants.
D’autres poétesses, dont Ledia Dushi, Lindita Arapi et Brikena Smajli, touchent par leur sensibilité à fleur de peau. En revanche, des noms comme Arjan Leka, Stefan Çapaliku et Agron Tufa sont à retenir parmi au moins une dizaine de nouveaux poètes promus au premier rang.
D’ores et déjà assurés et très actifs, ce sont les poètes de cette catégorie qui raflent les prix littéraires : ils sont directeurs de revues littéraires ou universitaires de haut niveau, fins connaisseurs des langues occidentales et des réalisations esthétiques et littéraires modernes. Ils ne font pas école, mais ils en commun la recherche d’un nouvel élitisme en poésie, ainsi que le fait d’avoir entamé leur vie littéraire au début des années quatre-vingt-dix.
En ne nommant que certains d’entre eux, et notamment ceux dont nous avons traduit des poèmes pour l’occasion, nous sommes conscient d’avoir fait une grande injustice à la poésie de cette génération, qui compte à cette heure au moins une trentaine de poètes de haut niveau, dont Gazmend Krasniqi, Gentian Çoçoli, Parid Teferiçi, Gezim Hajdari, Sokol Zeka ou Dhimitër Pojanaku, qui pourraient laisser dans l’ombre ceux qui, aujourd’hui, défraient la chronique.
Le troisième volet regroupe les poètes autrefois officiels et qui continuent d’écrire, pour leur plus grand bien et le nôtre. Face au contre-courant dissident et au nouveau courant moderne, ils représentent dans la poésie albanaise un courant qui se renouvelle.
Issus de la génération des années ’60 ou ’80, ils avaient tous marqué leur départ par une volonté de changement, avant de tomber dans le piège de la propagande et de l’intimidation, pour aussitôt repartir de plus belle une fois que la donne avait changé. En ce sens, dans leur effort de s’adapter au nouveau climat littéraire pour continuer coûte que coûte dans la voie de la vraie poésie, ils seraient porteurs de stabilité et d’équilibre au niveau de la littérature albanaise contemporaine.
Bien qu’ils soient assez souvent montrés du doigt pour leurs péchés passés, leur apport présent est estimable. D’autant plus qu’ils ont pu garder le rythme de leurs publications et conserver leurs plus fidèles lecteurs. N’ayant pas pu profiter d’une formation littéraire adéquate du temps du communisme, ils s’en remettent à leur expérience dans le métier et à une intuition qui a fait ses preuves.
Une intuition qui semble pourtant les avoir orienté exactement du côté inverse de ce qu’ils avaient construit : en règle générale, chez eux, à l’optimisme d’antan, aux discours déclamatoires et aux panégyriques, a cédé la place le désenchantement, une amertume mal retenue et une sorte de « pessimisme de la résistance » articulé autour du doute généralisé en tout et contre tout.
Parmi ces deux générations de poètes, plusieurs sont ceux qui ont été « reconvertis » en journalistes, mais aussi en chercheurs comme Moikom Zeqo et Anton Papleka, en éditeurs comme Bardhyl Londo et Virgjil Muçi, en diplomates comme Rudolf Marku et Besnik Mustafaj, qui se sont consacrés au combat politique comme Dritëro Agolli et Preç Zogaj, ou qui purement et simplement ont jeté l’éponge et se sont retirés dans une solitude obstinée comme Ndoc Gjetja et Fatos Arapi.
Grâce aux efforts conjugués de tous les poètes, le paysage de la poésie contemporaine en pays albanais se présente foncièrement différent et revigoré par rapport à ce qu’il a pu être il y a tout juste quinze ans. Avec eux tous, c’est un pays entier qui redécouvre le plaisir de lire et d’écrire, ce que nous aimerions vous faire partager.
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