« Matinées au café Rostand » par Ismail Kadaré
vendredi 27 janvier 2017 par en , Evelyne Noygues
La Fondation Alliance Française a mis à l’honneur l’auteur albanais Ismaïl Kadaré, le 24 janvier 2017, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Matinées au café Rostand » aux Éditions Fayard.
Animée par Antoine Boussin dans le cadre des rencontres mensuelles organisées avec des écrivains de renom au théâtre de l’Alliance française (Paris VIe), cette soirée a permis à ses lecteurs d’échanger avec l’écrivain dans une atmosphère conviviale.
Organisée en partenariat avec l’Alliance Française Paris Ile-de-France et soutenue par l’ambassade d’Albanie en France, cette soirée littéraire a permis d’écouter Ismaïl Kadaré parler de certains souvenirs qui tissent la trame de son dernier livre : terminé d’écrire en août 2014, « Matinées au café Rostand » est paru en français dans une traduction de l’albanais d’Artan Kotro et de Tedi Papavrami.
Au fil de la rencontre
Né en 1936 à Gjirokastër dans le sud de l’Albanie, Ismaïl Kadaré se souvient qu’à dix ou douze ans, il baignait dans une atmosphère fortement marquée par la guerre qui formait une espèce de théâtre pour les enfants de son âge. C’est alors qu’il entame la lecture de « Macbeth » sans en comprendre toute la portée mais avec l’idée d’écrire un jour un livre semblable... Et c’est encore pour lui, aujourd’hui, le meilleur des livres au monde et Shakespeare un de ses auteurs préférés.
Fraichement débarqué à Moscou à l’âge de 22 ans pour poursuivre des études de Lettres à l’Institut Gorki, il fait partie parmi une vingtaine de nationalités différentes de ce « bataillon » de futurs écrivains préparés pour déboulonner la littérature bourgeoise décadente !
Comble de l’ironie, c’est en URSS qu’il découvre la littérature mondiale contemporaine. 1958 est aussi l’année où apparaissent les premières rumeurs contre Staline : un léger vent subversif porteur d’un petit frisson perturbe ces jeunes têtes... Comme lui fait remarquer un camarade letton, passe encore que son petit pays collé à “l’ours soviétique” suive à la lettre la doctrine stalinienne, mais pourquoi donc l’Albanie ?
« L’Homme nouveau » : mise au point
Kadaré déclare exécrer la littérature moralisante. Être modeste dans les régimes communistes, c’est être soumis et servile. Car si le communisme cherche à détruire la littérature comme on s’attaquerait à un temple, il commence par s’en prendre aux tuiles pour que l’édifice s’écroule de lui-même... Si le communisme a créé « l’Homme nouveau », c’est bien pour que le système détruise les écrivains.
Le métier d’écrivain est en totale contradiction avec un régime totalitaire car il se pose en rival de la pensée officielle… marxiste-léniniste… Certains sont d’avis qu’un régime totalitaire peut endommager mais jamais détruire totalement la littérature.
Kadaré se demande même s’il aurait pu mieux écrire sans être exposé à ce joug. Le totalitarisme a pour effet de rendre la vie quotidienne plus dramatique et d’être source de complications. Selon l’auteur, la littérature ne peut pas exister dans un monde sans contradictions. A ce propos, il aime à citer un autre de ses auteurs préférés, le poète Dante Alighieri, auteur de « La Divine Comédie », qui se sent vivant dans le monde des morts. C’est aussi en quelque sorte le sentiment de l’écrivain dans un régime totalitaire.
La question de la Vendetta
S’agissant de la question de la vendetta, I. Kadaré s’insurge contre le fait d’y voir un signe d’identification de l’Albanie. Il s’agit d’un code régulier se référant à une Europe médiévale, à une organisation de la société en manque d’Etat et réglée sur des lois antiques. Il ne connaissait pas les lois communistes… c’est pourquoi il avait presque complètement disparu en Albanie. Avant de resurgir après la chute du régime communiste aux règles staliniennes beaucoup plus rigides !
Pour l’écrivain albanais, le Kanun est identifiable à une mathématique de la mort. Dans ce code qu’il juge profondément réactionnaire et lugubre, la mort est plus importante que la vie. Comble du cynisme pour son côté particulièrement misogyne, la mort ne peut frapper les femmes qui sont exclues de la vendetta. Sur ce déséquilibre démoniaque repose la question de la survie du genre humain. Kadaré parle d’un code « serial » pour les hommes… peut-être dans le sens de Serial Killer…
En fin de rencontre, Kadaré fait remarquer qu’il doit beaucoup aux chansons médiévales et aux chants populaires balkaniques. C’est en quelque sorte montrer une filiation que de terminer son livre par une variante féminine d’une ballade médiévale, très connue en Albanie, destinée aux soldats qui étaient envoyés au service militaire pendant de très longues années.
C’est aussi pour nous une façon très subtile de prendre à témoin sort des femmes dans les guerres d’aujourd’hui…
Propos recueillis au cours de la rencontre par Evelyne Noygues©2017
Bref rappel biographique
En 1963, la parution de son premier roman « Le Général de l’armée morte » apporte à Kadaré la renommée, d’abord en Albanie et ensuite à l’étranger à partir de 1970. Paraissent ensuite « Chronique de la ville de pierre » et « Les Tambours de la pluie ». Il publie d’autres romans importants comme « Avril brisé » (1980) et « Le Dossier H. » (1989). Par la suite, il continue d’éditer ses romans à l’étranger où ils sont très bien accueillis.
L’auteur émigre en France où il obtient l’asile politique en octobre 1990. En 1992, il publie " La Pyramide ". Depuis 1996, il est membre associé de l’Académie des sciences morales et politiques, où il a remplacé le philosophe Karl Popper. Ismaïl Kadaré a reçu le Prix international Man Booker en 2005, le Prix Princesse des Asturies de littérature en 2009 et le Prix Jérusalem en 2015.
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