Communication du Prof. Remzi Përnaska retranscrite avec l’aimable concours de Mme Brikena Çabej.
« Je sens que je dois commencer mon discours en paraphrasant Guillaume Apollinaire : “Gens d’ici pardonnez-moi les choses que je ne vais pas vous dire”.
Parler de l’Académicien Eqrem Çabej est pour moi vraiment difficile, et cela pour de multiples raisons :
tout d’abord, parce que je ne suis pas un de ces biographes ;
ensuite, parce que mon domaine de recherches est la grammaire de l’albanais moderne et non l’histoire de la langue albanaise ;
enfin, parce que pour être compréhensible, je dois simplifier et ne parler que des grandes lignes de la grande contribution scientifique laissée par ce Nestor des études albanologiques, plus particulierent de celles sur l’histoire de la langue albanaise dont il était et demeure le patriarche incontesté et incontestable.
La tâche est devenue moins difficile grâce à l’ouvrage de l’Academicien Shaban Demiraj qui a pour titre Eqrem Çabej, et dont je me suis largement inspiré.
Si j’ai accepté de vous parler de cette personnalité hors du commun de la culture albanaise, c’est, entre autres, par devoir envers son illustre mémoire.
Le titre de cette conférence a été très bien choisi par les organisateurs. S’il y a un seul qualificatif à donner à la personnalité de Eqrem Çabej, c’est sans aucun doute celui de prudent, de sage, de Nestor, comme ce vieux roi légendaire, Pylos, du Peloponèse, qui dans l’Illiade est célèbre pour sa prudence et sa sagesse.
Et on la voit cette sagesse, cette prudence, dans la stratégie qu’il a choisie pour les études albanologiques en général et, en premier chef, pour celles sur l’histoire de la langue albanaise : du connu vers l’inconnu, de l’intésieur vers l’extérieur, du large vers le restreint.
Suivant cette stratégie, il a donné la priorité aux études illyriennes (et non à celles pélasgiques), à l’étude des textes anciens, des dialectes, des contacts avec d’autres langues et civilisations, surtout avec le grec et le latin. Portant un intéret particulier au roumain, il a défendu la thèse selon laquelle, jadis, le peuple albanais et sa langue étaient en contact avec celle-ci. De ce fait, le peuple albanais vit aujourd’hui seulement sur une partie des terres qu’il occupait jadis. En effet, le peuple albanais vit sur les terres de la péninsule balkanique depuis des temps immémoriaux, si bien que l’albanais a non seulement a emprunté aux autres langues, mais leur en a donné aussi, etc.
A ce titre, le Prof. Çabej attachait une attention particulière à l’archéologie. Il espérait qu’un jour un archéologue découvrirait une pierre avec des inscriptions bilingues, en quelques sortes une pierre de Rosette.
“Ce que nous ne pouvons pas prouver philologiquement, peut-être le fera un jour un agriculteur avec sa charrue”.
Pour mieux saisir le personnage, mieux comprendre ce qu’il a fait pour son peuple, la science et culture albanaise, commençons par le début, en suivant un ordre chronologique.
Né le 6 août 1908, à Eskisehir en Turquie, il est originaire d’une famille d’intellectuels : son père était juge, cadi. Le jeune Eqrem a fait connaissance avec le sol albanais à l’âge de six mois. Il est décédé le 13 août 1980, dans un des hopitaux de Rome, en Italie.
Eqrem Çabej a vecu dans une période des plus dynamiques de l’histoire moderne de l’Albanie :
Proclamation de l’indépendance le 28 Novembre 1912 ;
Première Guerre Mondiale ;
Royaume d’Albanie, avec le roi Zog Ier ;
Occupation fasciste (1939) et nazie ;
Deuxième Guerre mondiale ;
Libération du pays et installation du pouvoir communiste.
Ces événements vont incontestablement se refléter dans son oeuvre gigantesque.
Mais revenons à son enfance. Il a reçu les premières leçons dans sa ville qu’il se plaisait à qualifier de natale, à Gjirokastra.
En 1921, à l’âge de 13 ans, il termine l’école primaire avec la mention “Brillant”, ce qui lui permet d’obtenir une bourse pour faire ses études secondaires et supérieures à l’étranger.
Le voilà en Autriche, à Saint-Pötten près de Vienne, au sein de la famille Rienmüller pour apprendre l’allemand pendant un an, en cours préparatoire.
Je note au passage qu’il parlait français avec les membres de cette famille, un français soigné qu’il avait appris à Gjirokastra.
Au sein de cette famille, non seulement acceuillante mais aussi très cultivée, le jeune Albanais a appris l’allemand pendant un an au point que l’année d’après il a réussi à passer deux classes du lycée en une année. Il termina son cycle secondaire en 1926, à Klagenfart, avec de nouveau la mention : brillant, le meilleur de la promotion.
J’ajouterai simplement que lorsqu’il était pressé on quand il cherchait la précision, il écrivait directement en allemand, et c’est après qu’il se traduisait lui-même en albanais.
Son père, Hysen Bey, voulait en faire un médecin. Mais lui voulait étudier la linguistique. Son père lui disait : “La linguistique, c’est pour les riches”...
Il s’incrivit donc à la Faculté de médecine de l’Université de Rome. Mais plutôt que d’étudier la médecine, il passait son temps dans les bibliothèques à apprendre la linguistique, la littérature et l’histoire.
Finalement, le père accepta que son fils fasse des études de linguistique.
En 1927-1928, il s’incrit à la Faculté de philosophie de l’Université de Gratz. Il y resta un an seulement, et pour cause, il était attiré par ce qui se faisait au Département de linguistique de la Faculté de philosophie de l’Université de Vienne, où travaillaient des célébrités mondialement connues, comme Franz Miklosich, Wilhelm Meyer-Lübke, Paul Kretschmer, Karl Patsch, Norbert Jokl, etc.
Voilà notre jeune étudiant au centre des études en histoire de langues, au beau milieu de comparatistes célèbres...
Intelligent, studieux et passionné, il a largement profité des cours qu’il a suivis avec assiduité, plus particulièrement de ceux de Norbert Jokl, avec qui s’est lié d’une amitié profonde qui durera jusqu’a la mort du maître, exterminé par les nazis en 1942.
A titre anecdotique, Çabej a suivi pendant un semestre les cours de Nikolaï Trubetskoï sur Dostoïevski.
La littérature était le violon d’Ingres de Çabej.
Eqrem Çabej a brillament terminé ses études supérieures.
Mais il ne s’arrête pas à mi-chemin. Il prépare une thèse de doctorat ès philosophie. Le sujet de ses recherches Etudes italo-albanaises le conduisit chez les Arbëresh d’Italie, en Sicile où il séjourna pendant six mois.
La soutenance eut lieu le 7 Octobre 1933, devant un jury composé de trois sommités de la linguistique comparatiste : Paul Kretschmer, Karl Patsch et Norbert Jokl, avec, comme toujours, la mention “Brillament”.
Encore étudiant, il écrivit trois articles, dont un qui n’est pas répertorié par la bibliographie et qui porte un titre significatif “Contre les pseudophilologues”, dans lequel il écrit : “La tradition du monde moderne préconise la lutte des idées, pas celle des personnes.”, et, plus loin : “Personne n’a le droit d’écrire sur la langue sans qu’il ait passé des années de recherches et d’études sur elle ! Personne ! Parce que la langue est la chose la plus appréciable d’un peuple, et pour le peuple albanais, c’est l’unique trésor !...”.
C’est en quelque sorte le Serment d’Hypocrate qu’il nous a inculqué, à nous jeunes chercheurs.
Tout ce qu’il vient d’être dit jusqu’ici, montre bien que le jeune doctorant ès philosophie de 22 ans promettait énormément.
C’est ainsi qu’une fois diplomé, le jeune docteur âgé de 25 ans rentre en Albanie. Il choisit l’Albanie arriérée aux propositions de travailler comme assistant auprès de N. Jokl, à l’Université de Vienne.
Le premier poste qu’il occupe, en rentrant en Albanie, est celui de sous-directeur de l’internat du lycée de Shkodra, où il enseigne la littérature albanaise et rédige le manuel Eléments de langue et de littérature albanaises (1936).
Ensuite, il change de poste tous les ans : Il est nommé à l’Ecole Normale d’Elbasan (1935-1936) ; avant de rejoindre le Ministère de l’Enseignement. Ne s’y plaisant pas, il préfère partir, l’année suivante, au lycée de Gjirokastra (1938-1939), où il parle ouvertement à ses élèves de l’Occupation italienne.
En 1939-1940 il est promu directeur au lycée de Tirana. Les fascistes italiens n’arrivent pas à l’amadouer même quand ils l’envoient à Rome, auprès de l’Académie des Sciences, où il s’occupe de l’Atlas linguistique albanais.
En août 1942, il écrit au président de l’Institut Royal des Etudes Albanaises : “Je vous demande amicalement de bien vouloir me rayer de la liste des membres de l’Institut Royal des Etudes Albanaises. La raison en est qu’y figure Fulvio Cordignano, que je ne connais pas personnellement, mais qui est mondialement connu comme ennemi juré de la race albanaise...”.
Et pourtant, d’abord les Italiens en 1942, ensuite les Allemands en 1943, lui proposent de devenir Ministre de l’Enseignement du gouvernement Quisling. Mais il refuse catégoriquement.
A ce propos, il écrit : “J’ai décliné toute proposition de collaborer avec les étrangers qui occupaient mon pays, toute chose qui n’était pas compatible avec mon honneur en tant qu’Albanais et avec le bien du pays et du peuple”.
Son retour au pays marque la fin de la première période de ses recherches, période qui est caracterisée par ses études en ethnolinguistique. Il s’intéresse et publie sur la linguistique, le folklore et la littérature artistique, avec un penchant pour cette dernière.
En novembre 1944 l’Albanie est libérée de l’Occupation nazie, et le régime communiste s’y installe.
Le Prof. Eqrem Çabej est nommé chercheur au Département de langue et de littérature de l’Institut des Sciences à Tirana, où il œuvrera jusqu’à son décès.
Il enseigne l’albanais et son histoire à la première première école des Hautes Etudes ouverte en Albanie : l’Institut Bienal des Hautes Etudes normales à Tirana, en 1946, qui cinq ans après est devenu Institut des Hautes Etudes normales, cette fois-ci pour un cycle de quatre ans. Il y enseigne la linguistique et l’albanologie, et, comme tout est à faire, il rédige les manuels respectifs.
En 1957, est créée l’Université de Tirana. Eqrem Çabej est parmi les premiers à enseigner à la Faculté d’Histoire et de Philologie de cette Université. Il y enseigne l’Introduction à l’histoire de la langue albanaise et la phonétique historique de l’albanais, et rédige le manuel correspondant.
Ces manuels font partie des fondements de l’albanologie, et sont utilisés encore aujourd’hui dans les universités albanaises.
Mais son activité de chercheur scientifique se déroule au Département de linguistique de l’Institut de linguistique et de littérature auprès de l’Académie des Sciences d’Albanie, au sein d’une équipe de chercheurs authentiques tels que Aleksandër Xhuvani, Kostaq Cipo, Mahir Domi, Selman Riza, etc.
Pendant les premières décénies après la Libération du pays, l’activité scientifique de Çabej est très riche. Il co-signe plusieures oeuvres majeures, telles que Parashtesat e gjuhës shqipe (Préfixes de la langue albanaise, 1956) et Prapashtesat e gjuhës shqipe (Suffixes de la langue albanaise, 1962), en collaboration avec Aleksandër Xhuvani ; Fjalor i gjuhës shqipe (Dictionnaire de la langue albanaise, 1954) ; Fjalor serbokroatisht-shqip (Dictionnaire serbo-croate-albanais, 1947) ; Drejtshkrimi i gjuhës shqipe (L’Orthographe de l’albanais, 1973). Il est également co-auteur de 13 dictionnaires terminologiques albanais-langues étrangères.
Il est membre de toutes les rédactions des revues scientifiques albanologiques et de toutes les commissions an sein de l’Académie des Sciences d’Albanie. C’est un des organisateurs du Congrès de l’orthographe, en 1972.
Mais son domaine de prédilection est l’histoire de la langue albanaise, étroitement liée à l’histoire du peuple albanais.
Avant lui, l’histoire de la langue albanaise était la chasse gardée des albanologues étrangers, en premier chef des Allemands. Le centre des études albanologiques se trouvait alors hors du monde albanais.
C’est avec lui que commence la véritable étude de l’histoire de la langue albanaise par les Albanais eux-mêmes, exception faite de Dimiter Camarda chez les Arbëresh d’Italie.
Il est tout désigné pour s’occuper de cela :
d’abord, il est le seul de l’équipe à avoir étudié la linguistique, plus spécialement le comparatisme, avant la Deuxieme Guerre mondiale, même si après lui d’autres viendront ;
dans ce domaine, son oeuvre est immense et d’excellente qualité. Elle a contribué à combler le retard historique du passé et a permis à l’albanologie albanaise de devenir tout naturellemenet le pivot des études dans ce domaine. C’est grâce à lui, entre autres, qu’on peut parler aujourd’hui d’école linguistique albanaise.
Il s’agit là d’un des plus grands mérites de ce savant hors pairs dans ce domaine.
La stratégie choisie pour prouver l’ancienneté de la langue albanaise et du peuple albanais l’obligait à travailler en priorité sur l’histoire de cette langue si ancienne mais si tardivement documentée, à en faire un domaine de prédilection. Mais là encore, il fallait s’attaquer davantage à la linguistique qu’à la philologie (comme procédaient avant les linguistes occidentaux et albanais). Et, en fin stratège, il choisit de s’occuper prioritérement de l’étymologie, de la phonétique et de la grammaire historiques, de la dialectologie et de l’origine de la langue albanaise.
Pourquoi ce choix ?
il avait été formé pour cela par des professeurs autrichiens, tous grands indo-européanistes ;
après la disparition de Norbert Jokl et le renoncement de Holger Pedersen de s’occuper de l’albanais, il n’y avait plus personne en Occident qui s’intéressait de cette question ; d’où une carence certaine dans ce domaine ;
en Albanie, les linguistes s’occupaient, pour des raisons historiques, plutôt de la syncronie que de la diachronie ;
enfin, le devoir et la volonté de combler le vide laissé en albanologie dans les études sur l’histoire de la langue albanaise. De ce fait, il est le pionnier et le patriarche de l’étymologie albanaise.
Holder Pedersen, Danois et célèbre indo-européiste, aspectologue et albanologue, écrivait déjà en 1938 : “Il est réjouissant que maintenant (sans doute pour la première fois) un Albanais natif traite la langue et l’histoire de son peuple avec la maîtrise totale des méthodes modernes développées en Europe occidentale”.
La méthode utilisée par Çabej dans ses études sur l’histoire de la langue albanaise est celle des comparatistes. Elle est déterminée par l’object d’études lui-même. C’est pourquoi elle est principalement inductive et retrospective :
Comme on l’a déjà vu, l’objet est l’histoire de la langue albanaise. Et l’histoire de l’albanais est antinomique : d’un côté, langue très ancienne, philologiquement non documentée (préhistoire), et de l’autre langue tardivement documentée au XVIe siècle (histoire).
Cela implique de commencer les études sur l’histoire de la langue en partant du connu, de la phase documentée (histoire), pour passer graduellement à l’inconnu, à la phase non documentée philologiquement, à la phase préhistorique.
En des termes plus techniques cela signifie étudier la langue albanaise principalement de l’intérieur, de manière complémentaire l’étudier de l’extérieur, en comparaison aussi avec d’autres langues indo-européennes, plus particulièrement avec le grec ancien, le latin et le roumain.
Pour illustrer la méthode de recherche qu’il a mise en oeuvre dans tous les domaines de la linguistique historique albanaise, je ne peux que me borner à l’étymologie.
J’ai choisi l’étymologie, d’abord parce que c’est le domaine où il a plus donné et son œuvre, Studime etimologjike në fushë të shqipes (Etudes étymologiques albanaises), en 7 volumes, est le point culminant des études albanaises jamais atteint par un autre.
Pour mieux comprendre pourquoi j’ai choisi l’étymologie parmi d’autres domaines de l’histoire de la langue albanaise, je vais citer longuement Çabej lui-même : “Du même pas que l’object procède aussi la méthode. Contrairement à la plupart des étymologistes jusqu’à maintenant... nous ne prenons pas le point de départ du dehors, dans l’étude étymologique du lexique de l’albanais pour entrer à l’intérieur... au contraire, nous prenons le point de départ conséquemment et sciemment de l’intérieur... nous examinons la situation intérieure de l’albanais pour passer à des comparaisons en dehors de ses bornes.”
Ce qui est extraordinaire chez lui, c’est qu’il connaît les limites de sa méthode : “...Malgré les nouveaux chemins battus dans ce domaine, les possibilités de pénétrer dans l’histoire et de remonter à leurs source ont leurs limites. Comme dans d’autres langues, du reste, en albanais aussi il y a des mots qui sont éclaircis jusque dans une certaine mesure de leur évolution, mais qui outre cette borne restent pour le moment obscurs”.
C’est pour cette raison qu’il utilise les principes de l’école “Les mots et les choses”, fondée en Allemagne au debút du XX siècle.
Il fournit un travail de fourmie en glanant les mots dans tout ce qui est philologique :
textes anciens, surtout ceux des auteurs catholiques (Le Missel ou Le Livre d’heures, (1955) qu’il a translitéré et transcrit, textes médievaux, etc.).
tous les dictionnaires existants en albanais ou albanais-langues étrangères, ou l’inverse.
Il glane les mots dans différents parlers et dialectes.
Etant adepte de la théorie des ondes vagues (en France, théorie du volcan), il glane en priorité les parlers arbëresh d’Italie et de Grèce, où il a trouvé des mots très anciens restés dans « la première vague de la lave du volcan ». Comme en français : au fur et à mesure. Le mot fur n’existe pas comme mot libre. Il survit dans l’expession au fur et à mesure uniquement.
Le choix du sujet de sa thèse de doctorat. Etudes Italo-albanaises en est un beau témoignage.
Il attachait une attention particulière à l’onomastique avec un penchant pour la toponomastique parce qu’il y trouvait des mots anciens complétement perdus : Qafa e Agrit, Shpiragër, Shpinagër = ágër “âne”.
Il suivait avec attention la vie sociale des mots. Ce qui l’attirait le plus, c’étaient les onomatopées, les euphémismes et les mots tabous, car il y voyait une couche très ancienne de mots :
Gojëlidhuni, gojëfarkut, gojëmsheluni, veshcurri “le loup”.
Përdhesi, dhetokësi, tokësi, përtokësi = gjarpëri “le serpant”.
Tout ce travail gigantesque a payé :
grâce à lui nous possédons aujourd’hui sept volumes d’Etudes d’étymologie albanaise”, qui, plus qu’un dictionnaire étymologique, est une véritable encyclopédie d’étymologie albanaise ;
le nombre des mots autochtones a été augmenté par rapport aux emprunts. Ainsi, dans le Dictionnaire étymologique de l’albanais de Gustav Mayer figurent 5 140 mots albanais, dont seulement 400 sont, selon lui, hérités de l’indoeuropéen, donc autochtones, mais il admet qu’il n’a pas d’étymologie pour 730 autres mots, qui, un jour, pourraint venir grossir le nombre des mots autochtones.
Çabej fait ses propres statistiques basées sur d’autres critères. Ainsi parmi 1424 mots étudiés, 667 sont autochtones et 757 sont des emprunts.
Çabej admet que les statistiques sont approximatives, mais elles montrent que l’élément emprunté est supérieur à celui autochtone.
Et en conclusion : “Une chose peut être affirmée, cependant, en toute sûreté : la quantité de l’élément emprunt et la quantité de l’élément hérité montrent d’une part le degré de l’influence étrangère sur l’albanais, d’autre part le degré de résistance de cette langue”, qui a su survivre.
J’insiste sur le fait que Eqrem Çabej a mené ses étydes étymologiques de l’albanais en toute objectivite. Non seulement il accepte l’origine étrangère des mots albanais lorsqu’il en est convaincu mais des fois il rejette leur origine albanaise que les autres considèrent comme tels.
Pour en conclure, je dirai que l’étymologie constitue la courronne de son immense oeuvre scientifique.
Un scientifique hors pairs comme lui a produit une oeuvre gigantesque, immense par la quantité et profonde par la qualité.
Et il est normal qu’un scientifique non seulement albanais, mais aussi balkanique et européen, soit plusieures fois récompensé :
pour la totalité de son œuvre, il a reçu le Prix de la République de Première Classe, (1961), qu’il a obtenu encore deux autres fois : en 1974 pour sa contribution magistrale à la rédaction des Règles de l’Orthographe albanais et en 1984 (à titre post-mortem) pour ses Etudes d’étymologie albanaises qui sont considérées comme le chef – d’oeuvre des études albanologiques.
Je précise que personne d’autres n’a eu trois fois ce prix prestigieux. C’est un record à battre :
en 1977, le Présidium de l’Assemblée Nationale lui accorde le titre Enseignant du Peuple ;
en 2003 (post-mortem), à l’occasion de son 95ème anniversaire, le Président de la République lui décerne le titre de Honneur de la Nation ;
plusieures écoles en Albanie, au Kosovo et ailleurs portent le nom de Eqrem Çabej, et comme le veut la tradition, l’Université de Gjirokastra, sa ville “natale”, porte elle-aussi son nom.
Le plus grand des linguistes albanais était non seulement un fin francophone, mais aussi un francophile résolu :
la première langue étrangère qu’il a apprise est le français, qu’il parlait courrament dès l’âge de douze ans. Comme il a déjà été noté, il parlait français avec la famille Rienmüller en Autriche. Il parlait en français avec son épouse Shyrete chaque fois qu’il discutait de poésie, ainsi que quand il voulait que les enfants ne suivent pas leur discussion ;
les résumes de ses étymologies sont en français, comme peut-on constater dans les sept volumes d’Etudes d’étymologic albanaise, de surcroit le premier volume est en albanais et en français ;
dès 1935, il est le premier Albanais à devenir membre de la Société linguistique de Paris.
il disait à ses élèves de travailler avec rigueur comme les Allemands et avec amour comme les Français...
il rêvait de visiter la France, la Ville-Lumière, mais il n’en a jamais eu l’occasion.
Que cette soirée que notre association lui consacre aide à le faire connaître modestement en France !
Mes remerciements les plus chaleureux vont aux organisateurs de cette conférence : Evelyne Noygues, Boris Dino et Pascal Hamon, pour leur contribution à faire connaître l’œuvre du Prof. Çabej et de la culture albanaise en France et parmi les francophones, ainsi qu’à Madame Brikena Çabej, et son époux, Gjergji Shiko, qui ont largement contribué à la réussite de cette rencontre.
- En France, le Prof. Përnaska a enseigné la langue albanaise à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) en Sorbonne. Il est par ailleurs membre de la société de linguistique de Paris et de France.
- A la maison des associations du 7ème arrondissement de Paris, jeudi 25 mars 2010, étaient présents deux anciens élèves et modestes collègues du grand savant qu’était l’Académicien Eqrem Çabej : les Professeurs Remzi Përnaska et Bahri Beci.
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